• 05. Arnaud Desjardins - Le prix de la liberté

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    Arnaud Desjardins « A la recherche du soi » Volume 3

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    Je voudrais parler d’un aspect du chemin dont on ne parle pas toujours, celui des difficultés inhérentes au chemin lui-même. Et je n’en parle pas pour vous faire peur en vous annonçant ce qui vous attend de terrible, mais, au contraire, pour encourager et rassurer ceux qui se sont réell...ement engagés sur la voie et qui font face à ces inévitables difficultés.

    Il faut bien dire qu’aujourd’hui, la moyenne des êtres humains est certainement moins courageuse qu’autrefois à tous égards, physiquement et émotionnellement. La vie est organisée pour être la plus facile possible. Dès que vous souffrez, vous avez un certain nombre d’analgésiques à votre disposition. Si vous êtes malade, les antibiotiques guérissent en trois jours ce qui se guérissait en trois semaines. Et ceux qui ont une vie un peu difficile et qui s’engagent sur une voie dite « spirituelle » voudraient bien que cette voie soit aussi rapidement efficace que la médecine et qu’on puisse même utiliser des anesthésiques chaque fois que c’est douloureux. Or la vérité oblige à dire que ce n’est pas le cas, que ça n’a jamais été le cas et qu’en ce qui concerne un chemin de transformation intérieure, ce ne sera jamais le cas.

    On peut utiliser des techniques de méditation comme stupéfiants pour le mental ou l’émotion mais ce ne sont jamais les stupéfiants qui ont conduit à l’éveil.

    En vérité, si on a des yeux pour lire ce qui est écrit dans les textes et des oreilles pour entendre ce qui a été affirmé partout, cette exigence n’a rien de nouveau. Souvenez-vous des paroles du Christ : « Celui qui veut me suivre, qu’il abandonne tout et qu’il prenne sa croix », et du mythe chrétien lui-même : la mort dans le déshonneur et l’abandon, l’agonie au jardin des Oliviers, le calvaire, la descente aux enfers avant la résurrection. Sans chercher dans l’ésotérisme hindou, nous savons bien que le christianisme est fondé sur cette vérité : la passion.

    Si vous vous tournez vers le bouddhisme tibétain, vous voyez tout de suite que le tantrisme présente autant de divinités sous des visages terribles ou « féroces » que de divinités au visage paisible. Même sans être un spécialiste du tantrayana, on peut comprendre que le symbolisme des gardiens du mandala ou des divinités terrifiantes s’applique directement au chemin intérieur.

    Le mot grec « métamorphose » revient plusieurs fois dans les Évangiles. Se métamorphoser, c’est aller au-delà de la forme actuelle. Cette image de métamorphose est très encourageante quand on se représente une chenille qu’on a vue glisser péniblement sur les feuilles et qui s’envole comme papillon ; mais n’oubliez pas la chrysalide, dans laquelle la chenille ne se retrouve plus en tant que chenille et n’est pas encore papillon.

    Qui nous dit que, si la chenille a la moindre conscience d’elle-même, cette étape n’est pas effrayante?

    Dans ce mouvement moderne qui consiste à essayer d’avoir tout à bon marché et de monter à l’Aiguille du Midi en téléphérique, il y a beaucoup de publicités pour des enseignements divers qui promettent la libération en six mois à raison de vingt minutes de méditation par jour. Cela n’a que peu à voir avec les enseignements traditionnels, sobres et rigoureux, qui ne doivent rien à la vogue moderne de l’hindouisme ou aux mass media, et qui ont été transmis dans le bouddhisme tibétain ou zen et dans les ashrams hindous isolés des grands circuits du tourisme ésotérique.

    La tradition spirituelle de l’humanité est unanime et claire en ce qui concerne ces épreuves intérieures, ces moments de désarroi qui attendent sur sa route le candidat à la libération et qui tiennent au chemin lui-même. Il y a une image que vous pouvez peut-être admettre :

    si quelqu’un qui ne va pas bien relève d’une opération chirurgicale et, si nous lui rendons visite à la clinique une heure après son réveil, nous le voyons beaucoup plus mal en point que nous ne l’avions quitté la veille. Un jugement superficiel pourrait faire dire que son état s’est aggravé et que cette opération est un désastre. Mais nous savons bien que, grâce à cette opération et à ces quelques jours peut-être douloureux, la guérison est assurée.

    C’est une vérité que vous avez encore du mal à entendre. Votre vie n’est pas ce que vous voudriez, vous avez des souffrances, des difficultés, des problèmes et vous espérez que le chemin va vous en libérer. C’est certain, le but ultime du chemin est la disparition totale de toute souffrance. Mais comment y arriver ?

    Aucun gourou hindou, aucun maître zen, aucun sage tibétain à travers les siècles n’a jamais promis que ce serait un chemin fait de pétales de roses. Tous ont dit qu’il y avait des épreuves à traverser, des moments de mort à soi-même, où on ne se reconnaît plus. Il existe même une initiation tibétaine dans laquelle le maître demande au disciple :

    « Êtes-vous prêt à prendre le risque de la mort ? Êtes-vous prêt à prendre le risque de la folie? – Bien. Alors moi, je prends le risque de vous conduire à la libération. »

    En vérité, nous trouvons normal qu’on puisse se fracturer la jambe en ski, qu’on puisse se tuer en montagne ou se noyer en faisant du bateau, qu’il puisse même y avoir des accidents en chirurgie. Mais, en ce qui concerne le chemin, bien peu de chercheurs spirituels sont prêts à accepter qu’ils vont à la rencontre de certains risques et, en tous cas, à la rencontre d’un grand nombre d’épreuves et de crises, au sens étymologique de crise, c’est-à-dire : un bouleversement qui fait que les choses ne seront plus jamais ce qu’elles étaient.

    Voilà comment s’exprime le Roshi Shibayama :

    « Il n’est pas facile pour qui que ce soit de briser les chaînes de l’ignorance en un instant.Une volonté très puissante est nécessaire et une recherche absolument totale de la vérité et du Soi véritable. Dans le zen, une dure ascèse est nécessaire, et il n’y a jamais rien eu de tel qu’un moyen facile qui donne des résultats instantanés. Le véritable disciple s’engage avec une demande religieuse extrêmement intense ; il continue avec une recherche et une discipline dures et soutenues par une volonté extrêmement forte, qui seront suivies par une crise spirituelle et l’impression de sombrer dans l’abîme. Alors seulement viendra le moment de l’éveil. Dans l’ascèse du zen, ce qui est le plus important, c’est de passer à travers le “grand doute” et l’impression d’avoir atteint la dernière extrémité. C’est une voie dure et c’est tout à fait inutile de chercher un raccourci facile.

    Il y a eu récemment tout un groupe de gens qui ont parlé de l’illumination instantanée et d’autres qui ont même prétendu qu’on pouvait atteindre le satori à travers les drogues. Ils peuvent dire tout ce qu’ils veulent, cela n’a rien à voir avec le véritable zen.

    Je tiens à dire qu’il n’y a pas un seul cas dans toute l’histoire du zen où quelqu’un a obtenu l’illumination sans avoir traversé un dur et difficile processus d’ascèse. Chacun aura à faire face à sa nullité et à son incapacité totale ; il devra voir en face de terribles contradictions et passer par toutes les souffrances que nous appelons l’inévitable karma. Il devra descendre profondément à l’intérieur de lui-même, aller au-delà de la dernière extrémité de lui-même et désespérer de lui-même comme quelqu’un qui n’a aucune chance d’aucune sorte d’être sauvé. Ce qu’on appelle trouver le vide en soi vient de cette expérience la plus douloureuse de toutes, de cet abîme de désespoir et d’agonie qui seul vous jettera bas, corps et âme, devant l’absolu. Le zen a toujours parlé du grand doute et de la grande mort. »

    Ce n’est pas moi qui le dis mais un des plus grands maîtres zen contemporains.

    Swâmiji avait un langage aussi clair que ces textes du Dr Godel ou du Roshi Shibayama, qui représentent deux traditions tout à fait différentes. Il m’a dit : « You will have to pay the full price », « vous aurez à payer le prix complet jusqu’au dernier centime ». Et il a dit à un autre disciple : « You will have to pay with your very life », « vous aurez à payer avec votre vie même » (ou : « vous devrez payer de votre vie »). Bien sûr, cela ne veut pas dire se suicider ; mais cela veut dire payer avec tout ce qui fait notre vie aujourd’hui.

    Les ailes ne poussent pas sur le dos des chenilles. La nature nous l’enseigne et nous enseigne la transformation, le dépassement de la forme. Vous devez vous représenter tous que, si vous voulez la transformation, vous devrez passer par cette étape qui correspond dans le monde animal à la chrysalide. Je ne cherche pas à vous terrifier avec les souffrances qui vous attendent mais, au contraire, à encourager ceux qui sont vraiment engagés sur le chemin et qui voient qu’avant de gagner ils ont d’abord beaucoup à perdre. C’est une espérance vaine et illusoire de l’ego qu’on pourra gagner sans rien perdre. Si vous avez un verre rempli d’eau, vous ne pouvez pas le remplir de vin avant d’avoir vidé l’eau qui est dedans.

    Déjà, dans le premier livre que j’ai écrit, le livre Ashrams, je citais ces paroles de Mâ Anandamayi : «Comment pouvez-vous juger ? Vous avez souvent l’impression que quelqu’un qui s’est engagé sur le chemin est devenu plus agressif et plus égoïste qu’il ne l’était auparavant ; comment savez-vous que des tendances indésirables, qui étaient soigneusement enfouies, ne sont pas venues à la surface afin de pouvoir se dissiper ? »

    Vous pouvez vérifier, vous ne trouverez pas une tradition sérieuse, autre que les extravagances modernes, qu’elle vienne du christianisme, de l’hindouisme, du bouddhisme ou du soufisme, qui ne décrive pas avec beaucoup de détails cette expérience par laquelle sont passés tant de disciples, de chercheurs de l’absolu, de mystiques. Et les mots qui reviennent sont toujours des mots semblables : la traversée du désert, l’agonie, l’impression de perdre tout ce à quoi on était habitué et tous ses points d’appui, et de devoir continuer encore plus loin.

    On n’a jamais vu que des êtres humains aient été obligés de s’engager sur le chemin intérieur de la méditation et de l’éveil. C’est certainement la seule activité à laquelle on ne puisse jamais contraindre personne. On peut, de force, « convertir » quelqu’un sous peine de le brûler vif, mais on ne peut pas engager de force quelqu’un sur ce chemin intérieur d’effacement de l’ego et de libération. Et il n’a jamais été considéré que la véritable expérience doive concerner une grande multitude. À cet égard, l’Occident aujourd’hui, dans son intérêt pour l’hindouisme et le bouddhisme, vit sur un immense malentendu contre lequel s’insurge le Roshi Shibayama, c’est de vouloir le résultat sans payer le prix ; de vouloir la glorieuse liberté des maîtres zen, les états de conscience supérieurs du yogi tibétain, la sérénité sans limite du jivanmukta hindou, quantitativement. Tout est pour tout le monde, c’est une des caractéristiques de notre époque. Très bien en ce qui concerne les congés payés : tant mieux si tout le monde peut passer un mois de vacances au bord de la mer au lieu de traîner dans une banlieue industrielle. C’est très bien que la santé soit à la disposition de tous grâce à la Sécurité sociale. Mais, en ce qui concerne la grande expérience, il n’en est pas question et il ne pourra jamais en être question. Je dis bien – je l’ai compris à mes dépens et je l’ai abondamment observé autour de moi depuis vingt-cinq ans – la presque totalité des Occidentaux dont labibliothèque est garnie d’ouvrages d’Evans-Wentz sur le tantrisme tibétain, et de traductions de Shankaracharya, Hueï Neng et Huang Po ne voient pas et ne mesurent pas la nécessité de cette série de crises inévitables et sur lesquelles nous ne sommes pas pris en traîtres car toutes les traditions ou les témoignages des mystiques sont parfaitement clairs et explicites.

    N’est-ce pas malhonnête, pour avoir plus de disciples, de faire croire que ce sera un chemin facile, aisé, qui résoudra à bon compte tous les problèmes ? On n’a jamais obligé personne à s’engager sur ce chemin. Mais celui qui veut mourir pour renaître doit bien comprendre qu’avant de renaître, il faut mourir. Celui qui veut se transformer doit bien comprendre que sa forme actuelle, la façon dont il se sent être, dont il se conçoit et dont il conçoit le monde autour de lui, devra disparaître avant qu’une autre réalité se révèle. Ce serait trop facile si le nouveau commençait à se révéler avant que nous ayons dû perdre l’ancien.

    Avant de remplir le verre de vin il faut vider l’eau et avant de devenir papillon, il faut être chrysalide. La chenille a totalement disparu avant que le papillon commence à apparaître. Et nous avons tous, sous une forme ou sous une autre, à passer par cette métamorphose, cette trans-formation.
      

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