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    «Si vous ne vous comprenez pas vous-même, en totalité, comment pouvez-vous comprendre le reste de l’univers ? Vous ne comprenez au-dehors de vous que ce que vous avez déjà compris en vous. Si vous avez, en vous, accepté le personnage religieux, vous comprenez les autres êtres rel...igieux ; mais vous pouvez être très religieux et ne comprendre absolument pas les athées, les obsédés sexuels, les assoiffés d’argent. Vous devenez un être religieux qui, n’ayant jamais pris conscience de ces personnages-là en lui, les ayant simplement emprisonnés dans les sous-sols, refuse tous ceux qui ne pensent pas comme lui; autrement dit, vous devenez un pharisien tel que les Évangiles nous les dépeignent et toute attitude comparable à celle du Christ, qui avait le même regard d’amour pour les publicains, les prostituées et les bien-pensants, vous paraît choquante. Vous devenez un être religieux qui ne comprend que les êtres religieux fonctionnant comme lui, et qui refuse tout le reste.

    Pourtant, soyez sûrs que la totalité de l’humanité est toujours en vous, plus ou moins exprimée dans des équilibres différents. Mais ce que vous refusez d’accepter consciemment en vous, vous refusez de l’accepter consciemment au-dehors parce que le dehors vous renvoie à vous-même et vous oblige à refuser encore plus. Si vous avez tout accepté en vous, si vous avez vu consciemment que l’univers entier était en vous, le meilleur du meilleur, le pire du pire, tout – vous connaissez, au vrai sens du mot connaître qui signifie « être consciemment », tout, et par conséquent plus rien ne vous est étranger; plus rien. Le criminel n’est pas un autre pour vous : vous l’avez rencontré en vous. L’idéaliste n’est pas un autre pour vous : vous l’avez rencontré en vous. Le mystique n’est pas un autre pour vous : vous l’avez rencontré en vous. Le vaniteux n’est pas un autre pour vous vous l’avez rencontré en vous.

    C’est la même conscience qui accepte la totalité de ce qui est en vous et qui accepte ce qui est au-dehors de vous. Et vous avez découvert que la valeur suprême, c’est cette conscience-sans-ego elle-même, en laquelle et par laquelle tout est résolu – tout – puisqu’elle est libre. Seule cette conscience est vraiment vous-même. Vous avez traversé une étape où la conscience de soi habituelle, endormie, a paru en effet être démantelée, parce que tous les aspects de vous ont été présents au même moment, au lieu qu’un seul vienne à la surface.

    Dans la pleine acceptation de ces contradictions, vous avez découvert la totalité et vous avez découvert l’unité. Tous ces aspects de vous-même sont éclairés par la même Conscience. Ces aspects sont changeants, ne sont que l’expression de chaînes de causes et d’effets ou d’actions et de réactions; c’est un flux ; « on ne se baigne jamais deux fois dans la même rivière ». Et qu’est-ce qui est vraiment réel, immuable ? Qu’est-ce qui est, en soi, par soi, ne dépendant de rien ? C’est cette conscience ou cette vision qui peut tout comprendre, dans les deux sens du mot « comprendre » : inclure, et aller au coeur même de ce que nous avons jusque-là considéré comme un autre que nous.

    Alors vous pouvez dire que la phrase : « la conscience inclut l’univers entier » a enfin un sens pour vous. L’univers entier est déjà là en vous mais vous ne l’incluez pas. Si vous le comprenez, si vous l’incluez, la différence entre intérieur et extérieur n’est plus celle qu’elle était jusque-là. Et, parce que vous avez découvert en vous le secret de l’être, vous voyez – et cette vision ne peut plus jamais être voilée – que le secret de l’être est le même en chacun.

    Chaque homme n’a de lui qu’une conscience partielle mais vous, vous avez de lui une conscience totale. Au moment où l’être triste est en face de vous, vous vous voyez l’être triste, l’être gai, toutes les facettes. Au moment où l’être violent, hargneux, est en face de vous, vous, vous voyez aussi l’être plein d’amour. Celui qui est en face de vous ne connaît de lui que l’aspect qui se manifeste à un moment donné. Mais vous, vous voyez la totalité de l’autre; non seulement le personnage dont il est momentanément conscient mais tous les personnages dont lui n’est pas conscient, qui existent en lui, et dont vous avez pris conscience en vous. Quand vous êtes devenu « total », vous voyez chaque être humain comme « total »; alors que, quand vous restez « partiel », vous voyez chaque être humain comme « partiel ».

    C’est vous dire à quel point votre vision est fragmentaire, pauvre, limitée; à chaque instant, vous ne voyez qu’une petite partie de vous, vous ne voyez qu’une petite partie de l’être qui est en face de vous. C’est cette petitesse en vous qui rencontre la petitesse chez l’autre ; c’est cette surface en vous qui rencontre la surface chez l’autre.

    Il est vain de vouloir comprendre les autres sans s’être compris soi-même. C’est bien pourquoi tout l’enseignement ancien, pas seulement celui de la Grèce, est fondé sur le commandement suprême : «Connais-toi toi-même», ou : «Si tu te connais toi-même, tu connaîtras le secret de l’univers entier».
      

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    Arnaud Desjardins « A la recherche du soi » Volume 3

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    Je voudrais parler d’un aspect du chemin dont on ne parle pas toujours, celui des difficultés inhérentes au chemin lui-même. Et je n’en parle pas pour vous faire peur en vous annonçant ce qui vous attend de terrible, mais, au contraire, pour encourager et rassurer ceux qui se sont réell...ement engagés sur la voie et qui font face à ces inévitables difficultés.

    Il faut bien dire qu’aujourd’hui, la moyenne des êtres humains est certainement moins courageuse qu’autrefois à tous égards, physiquement et émotionnellement. La vie est organisée pour être la plus facile possible. Dès que vous souffrez, vous avez un certain nombre d’analgésiques à votre disposition. Si vous êtes malade, les antibiotiques guérissent en trois jours ce qui se guérissait en trois semaines. Et ceux qui ont une vie un peu difficile et qui s’engagent sur une voie dite « spirituelle » voudraient bien que cette voie soit aussi rapidement efficace que la médecine et qu’on puisse même utiliser des anesthésiques chaque fois que c’est douloureux. Or la vérité oblige à dire que ce n’est pas le cas, que ça n’a jamais été le cas et qu’en ce qui concerne un chemin de transformation intérieure, ce ne sera jamais le cas.

    On peut utiliser des techniques de méditation comme stupéfiants pour le mental ou l’émotion mais ce ne sont jamais les stupéfiants qui ont conduit à l’éveil.

    En vérité, si on a des yeux pour lire ce qui est écrit dans les textes et des oreilles pour entendre ce qui a été affirmé partout, cette exigence n’a rien de nouveau. Souvenez-vous des paroles du Christ : « Celui qui veut me suivre, qu’il abandonne tout et qu’il prenne sa croix », et du mythe chrétien lui-même : la mort dans le déshonneur et l’abandon, l’agonie au jardin des Oliviers, le calvaire, la descente aux enfers avant la résurrection. Sans chercher dans l’ésotérisme hindou, nous savons bien que le christianisme est fondé sur cette vérité : la passion.

    Si vous vous tournez vers le bouddhisme tibétain, vous voyez tout de suite que le tantrisme présente autant de divinités sous des visages terribles ou « féroces » que de divinités au visage paisible. Même sans être un spécialiste du tantrayana, on peut comprendre que le symbolisme des gardiens du mandala ou des divinités terrifiantes s’applique directement au chemin intérieur.

    Le mot grec « métamorphose » revient plusieurs fois dans les Évangiles. Se métamorphoser, c’est aller au-delà de la forme actuelle. Cette image de métamorphose est très encourageante quand on se représente une chenille qu’on a vue glisser péniblement sur les feuilles et qui s’envole comme papillon ; mais n’oubliez pas la chrysalide, dans laquelle la chenille ne se retrouve plus en tant que chenille et n’est pas encore papillon.

    Qui nous dit que, si la chenille a la moindre conscience d’elle-même, cette étape n’est pas effrayante?

    Dans ce mouvement moderne qui consiste à essayer d’avoir tout à bon marché et de monter à l’Aiguille du Midi en téléphérique, il y a beaucoup de publicités pour des enseignements divers qui promettent la libération en six mois à raison de vingt minutes de méditation par jour. Cela n’a que peu à voir avec les enseignements traditionnels, sobres et rigoureux, qui ne doivent rien à la vogue moderne de l’hindouisme ou aux mass media, et qui ont été transmis dans le bouddhisme tibétain ou zen et dans les ashrams hindous isolés des grands circuits du tourisme ésotérique.

    La tradition spirituelle de l’humanité est unanime et claire en ce qui concerne ces épreuves intérieures, ces moments de désarroi qui attendent sur sa route le candidat à la libération et qui tiennent au chemin lui-même. Il y a une image que vous pouvez peut-être admettre :

    si quelqu’un qui ne va pas bien relève d’une opération chirurgicale et, si nous lui rendons visite à la clinique une heure après son réveil, nous le voyons beaucoup plus mal en point que nous ne l’avions quitté la veille. Un jugement superficiel pourrait faire dire que son état s’est aggravé et que cette opération est un désastre. Mais nous savons bien que, grâce à cette opération et à ces quelques jours peut-être douloureux, la guérison est assurée.

    C’est une vérité que vous avez encore du mal à entendre. Votre vie n’est pas ce que vous voudriez, vous avez des souffrances, des difficultés, des problèmes et vous espérez que le chemin va vous en libérer. C’est certain, le but ultime du chemin est la disparition totale de toute souffrance. Mais comment y arriver ?

    Aucun gourou hindou, aucun maître zen, aucun sage tibétain à travers les siècles n’a jamais promis que ce serait un chemin fait de pétales de roses. Tous ont dit qu’il y avait des épreuves à traverser, des moments de mort à soi-même, où on ne se reconnaît plus. Il existe même une initiation tibétaine dans laquelle le maître demande au disciple :

    « Êtes-vous prêt à prendre le risque de la mort ? Êtes-vous prêt à prendre le risque de la folie? – Bien. Alors moi, je prends le risque de vous conduire à la libération. »

    En vérité, nous trouvons normal qu’on puisse se fracturer la jambe en ski, qu’on puisse se tuer en montagne ou se noyer en faisant du bateau, qu’il puisse même y avoir des accidents en chirurgie. Mais, en ce qui concerne le chemin, bien peu de chercheurs spirituels sont prêts à accepter qu’ils vont à la rencontre de certains risques et, en tous cas, à la rencontre d’un grand nombre d’épreuves et de crises, au sens étymologique de crise, c’est-à-dire : un bouleversement qui fait que les choses ne seront plus jamais ce qu’elles étaient.

    Voilà comment s’exprime le Roshi Shibayama :

    « Il n’est pas facile pour qui que ce soit de briser les chaînes de l’ignorance en un instant.Une volonté très puissante est nécessaire et une recherche absolument totale de la vérité et du Soi véritable. Dans le zen, une dure ascèse est nécessaire, et il n’y a jamais rien eu de tel qu’un moyen facile qui donne des résultats instantanés. Le véritable disciple s’engage avec une demande religieuse extrêmement intense ; il continue avec une recherche et une discipline dures et soutenues par une volonté extrêmement forte, qui seront suivies par une crise spirituelle et l’impression de sombrer dans l’abîme. Alors seulement viendra le moment de l’éveil. Dans l’ascèse du zen, ce qui est le plus important, c’est de passer à travers le “grand doute” et l’impression d’avoir atteint la dernière extrémité. C’est une voie dure et c’est tout à fait inutile de chercher un raccourci facile.

    Il y a eu récemment tout un groupe de gens qui ont parlé de l’illumination instantanée et d’autres qui ont même prétendu qu’on pouvait atteindre le satori à travers les drogues. Ils peuvent dire tout ce qu’ils veulent, cela n’a rien à voir avec le véritable zen.

    Je tiens à dire qu’il n’y a pas un seul cas dans toute l’histoire du zen où quelqu’un a obtenu l’illumination sans avoir traversé un dur et difficile processus d’ascèse. Chacun aura à faire face à sa nullité et à son incapacité totale ; il devra voir en face de terribles contradictions et passer par toutes les souffrances que nous appelons l’inévitable karma. Il devra descendre profondément à l’intérieur de lui-même, aller au-delà de la dernière extrémité de lui-même et désespérer de lui-même comme quelqu’un qui n’a aucune chance d’aucune sorte d’être sauvé. Ce qu’on appelle trouver le vide en soi vient de cette expérience la plus douloureuse de toutes, de cet abîme de désespoir et d’agonie qui seul vous jettera bas, corps et âme, devant l’absolu. Le zen a toujours parlé du grand doute et de la grande mort. »

    Ce n’est pas moi qui le dis mais un des plus grands maîtres zen contemporains.

    Swâmiji avait un langage aussi clair que ces textes du Dr Godel ou du Roshi Shibayama, qui représentent deux traditions tout à fait différentes. Il m’a dit : « You will have to pay the full price », « vous aurez à payer le prix complet jusqu’au dernier centime ». Et il a dit à un autre disciple : « You will have to pay with your very life », « vous aurez à payer avec votre vie même » (ou : « vous devrez payer de votre vie »). Bien sûr, cela ne veut pas dire se suicider ; mais cela veut dire payer avec tout ce qui fait notre vie aujourd’hui.

    Les ailes ne poussent pas sur le dos des chenilles. La nature nous l’enseigne et nous enseigne la transformation, le dépassement de la forme. Vous devez vous représenter tous que, si vous voulez la transformation, vous devrez passer par cette étape qui correspond dans le monde animal à la chrysalide. Je ne cherche pas à vous terrifier avec les souffrances qui vous attendent mais, au contraire, à encourager ceux qui sont vraiment engagés sur le chemin et qui voient qu’avant de gagner ils ont d’abord beaucoup à perdre. C’est une espérance vaine et illusoire de l’ego qu’on pourra gagner sans rien perdre. Si vous avez un verre rempli d’eau, vous ne pouvez pas le remplir de vin avant d’avoir vidé l’eau qui est dedans.

    Déjà, dans le premier livre que j’ai écrit, le livre Ashrams, je citais ces paroles de Mâ Anandamayi : «Comment pouvez-vous juger ? Vous avez souvent l’impression que quelqu’un qui s’est engagé sur le chemin est devenu plus agressif et plus égoïste qu’il ne l’était auparavant ; comment savez-vous que des tendances indésirables, qui étaient soigneusement enfouies, ne sont pas venues à la surface afin de pouvoir se dissiper ? »

    Vous pouvez vérifier, vous ne trouverez pas une tradition sérieuse, autre que les extravagances modernes, qu’elle vienne du christianisme, de l’hindouisme, du bouddhisme ou du soufisme, qui ne décrive pas avec beaucoup de détails cette expérience par laquelle sont passés tant de disciples, de chercheurs de l’absolu, de mystiques. Et les mots qui reviennent sont toujours des mots semblables : la traversée du désert, l’agonie, l’impression de perdre tout ce à quoi on était habitué et tous ses points d’appui, et de devoir continuer encore plus loin.

    On n’a jamais vu que des êtres humains aient été obligés de s’engager sur le chemin intérieur de la méditation et de l’éveil. C’est certainement la seule activité à laquelle on ne puisse jamais contraindre personne. On peut, de force, « convertir » quelqu’un sous peine de le brûler vif, mais on ne peut pas engager de force quelqu’un sur ce chemin intérieur d’effacement de l’ego et de libération. Et il n’a jamais été considéré que la véritable expérience doive concerner une grande multitude. À cet égard, l’Occident aujourd’hui, dans son intérêt pour l’hindouisme et le bouddhisme, vit sur un immense malentendu contre lequel s’insurge le Roshi Shibayama, c’est de vouloir le résultat sans payer le prix ; de vouloir la glorieuse liberté des maîtres zen, les états de conscience supérieurs du yogi tibétain, la sérénité sans limite du jivanmukta hindou, quantitativement. Tout est pour tout le monde, c’est une des caractéristiques de notre époque. Très bien en ce qui concerne les congés payés : tant mieux si tout le monde peut passer un mois de vacances au bord de la mer au lieu de traîner dans une banlieue industrielle. C’est très bien que la santé soit à la disposition de tous grâce à la Sécurité sociale. Mais, en ce qui concerne la grande expérience, il n’en est pas question et il ne pourra jamais en être question. Je dis bien – je l’ai compris à mes dépens et je l’ai abondamment observé autour de moi depuis vingt-cinq ans – la presque totalité des Occidentaux dont labibliothèque est garnie d’ouvrages d’Evans-Wentz sur le tantrisme tibétain, et de traductions de Shankaracharya, Hueï Neng et Huang Po ne voient pas et ne mesurent pas la nécessité de cette série de crises inévitables et sur lesquelles nous ne sommes pas pris en traîtres car toutes les traditions ou les témoignages des mystiques sont parfaitement clairs et explicites.

    N’est-ce pas malhonnête, pour avoir plus de disciples, de faire croire que ce sera un chemin facile, aisé, qui résoudra à bon compte tous les problèmes ? On n’a jamais obligé personne à s’engager sur ce chemin. Mais celui qui veut mourir pour renaître doit bien comprendre qu’avant de renaître, il faut mourir. Celui qui veut se transformer doit bien comprendre que sa forme actuelle, la façon dont il se sent être, dont il se conçoit et dont il conçoit le monde autour de lui, devra disparaître avant qu’une autre réalité se révèle. Ce serait trop facile si le nouveau commençait à se révéler avant que nous ayons dû perdre l’ancien.

    Avant de remplir le verre de vin il faut vider l’eau et avant de devenir papillon, il faut être chrysalide. La chenille a totalement disparu avant que le papillon commence à apparaître. Et nous avons tous, sous une forme ou sous une autre, à passer par cette métamorphose, cette trans-formation.
      

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    Arnaud DESJARDINS Itinéraire Spirituel Partie 1 - YouTube
     

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  • A partir du site: http://www.humains-associes.org/No7/HA.No7.Desjardins.1.html

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    Bien qu'il ait à ce jour publié quatorze ouvrages et qu'il compte de nombreux lecteurs, Arnaud Desjardins ne prétend nullement faire oeuvre d'écrivain. Il n'est pas homme de plume mais plutôt montreur d'images, ainsi qu'en témoignent les admirables films qu'il réalisa autrefois pour la télévision française.

    Tournés de manière artisanale par un homme seul au bout du monde, ces films constituent de précieux documents. À travers ces visages de yogis, de soufis afghans et de moines tibétains, c'est un monde intérieur que nous ouvre le réalisateur dont les commentaires, toujours justes, sobres mais vibrants de respect, aident à ressentir la possibilité d'une vie autre, plus belle, plus digne, et tout simplement plus heureuse.
    Grand voyageur, Arnaud Desjardins s'est avant tout fait pélerin, caméra en main, au service de la sagesse. Parmi les images de violence, de misère, ou plus souvent encore de médiocrité satisfaite dont nous sommes abreuvés, ses films demeurent des témoignages de profondeur, de paix et de joie. Ils lancent un défi à notre folie. Ils invitent à s'engager dans l'ultime aventure, à la découverte des arpents de silence et des océans de plénitude inexplorés en chacun de nous.

    Voilà plus de dix ans qu'Arnaud Desjardins n'a pas repris la route. Installé derrière les murs d'une belle demeure provençale dont il ne bouge que très rarement, il vit aujourd'hui pleinement, seconde après seconde, ce qu'il allait autrefois débusquer au fin fond de l'Inde, au Bhoutan ou en Afghanistan.

    Il utilise cependant le livre afin de transmettre à ceux qui en ont soif un enseignement vivant et exigeant, bien éloigné des panacées spiritualistes et des ésotérismes creux. Ici, dans cette maison ensoleillée mais dépouillée, aux murs ornés de visages rayonnants, ceux des sages rencontrés sur son chemin, il reçoit à l'année longue certains de ses lecteurs.
    Porteurs d'une demande plus ou moins intense, plus ou moins sincère, tous ont cependant su prendre la peine de venir rencontrer non pas tant une personne nommée Arnaud Desjardins, qu'une conscience autre, un regard pleinement ouvert, exempt d'envie, d'attente, de désir ou de crainte. Les plus réceptifs reçoivent ce regard comme un puissant appel à la métamorphose. Arnaud Desjardins ne donne pas de stages ni de cours magistraux. Il est là, simplement. Il répond aux questions et surtout vit parmi nous. * Gilles Farcet

    Les Humains associés : Le climat intellectuel dans lequel nous vivons privilégie les questions au détriment des réponses; s'il est de bon ton d'être en recherche, il est pour le moins suspect de prétendre avoir trouvé. Or, depuis la publication du tome 1 de À la recherche de Soi (À la recherche de Soi aux Éditions La Table Ronde, 1977), vous laissez entendre dans vos livres que vous êtes parvenu, après de longues années de recherche, au terme de votre quête. Bien qu'elle soit dans votre bouche exempte de toute arrogance ou tout triomphalisme, cette affirmation vous singularise nettement...
     
    Arnaud Desjardins : Il est certain qu'en affirmant avoir trouvé ce que je cherchais, je me démarque de ceux pour lesquels la quête compte davantage que les conclusions et les certitudes. Ceci dit, nous possédons bien quelques certitudes dans les domaines techniques et technologiques... mais les enseignements traditionnels, ceux que nous pouvons qualifier de "sagesses", n'ont jamais craint de formuler des affirmations.
    Le sage, qu'il s'agisse de Socrate, du Bouddha ou d'un maître hindou contemporain, n'hésite pas à affirmer. S'il le fait cependant, c'est en se fondant sur son expérience intérieure, à la lumière de ce qu'il est convenu d'appeler, en français comme en anglais, sa réalisation. Pour ma part, j'ai depuis longtemps adhéré à une famille d'esprit pour laquelle il est possible, en matière de transformation intérieure, de connaissance de soi, et même d'états de conscience plus élevés, d'atteindre des certitudes non seulement intellectuelles mais expérimentales.
     
    Ceci précisé, à quelles certitudes suis-je moi-même parvenu ? Il m'est possible d'affirmer ce que j'ai découvert tout en admettant qu'il me reste encore des découvertes à faire. Permettez-moi d'avoir ici recours à une analogie : des voyageurs entreprennent une traversée en mer dans l'espoir d'atteindre un jour une île ; dès l'instant où ils touchent terre et posent pied sur l'île, leur voyage est d'un certain point de vue terminé.
    Ils se trouvent désormais à l'abri des tempêtes et des risques de naufrages. Mais par ailleurs l'île entière demeure à découvrir et leur exploration ne fait que commencer : où y-a-t-il des sources, des zones désertiques, des forêts tropicales?.. Cette analogie exprime bien ce que je ressens.

    Mais qu'est-ce que "toucher terre" ? Quelle est donc cette île que vous avez découverte ?
     
    J'ai en fait trouvé ce dont j'avais entendu parler par des personnes ayant elles-mêmes "touché terre" ou retransmettant fidèlement l'expérience des autres : un point de conscience immuable, invariable, indépendant des conditions et des circonstances extérieures, et auquel il est toujours, sans exception, possible de revenir. Autrefois, j'oscillais, comme tout le monde, de l'inquiétude à la sérénité, de la tristesse à la joie, du découragement à l'optimisme...


    En même temps, je lisais dans des ouvrages sur l'hindouisme, des paroles de sages affirmant l'existence d'une conscience-témoin accessible à l'homme et sous-jacente à tous les états d'âme, quels qu'ils soient.


    Cette possibilité de revenir librement à un état de conscience immuable, que les pires vicissitudes de la vie ne peuvent atteindre, consitue donc l'essentiel de cette découverte dont nous parlons. Cette parfaite stabilité intérieure n'est pas seulement entrevue; elle demeure alors à notre disposition, si j'ose m'exprimer ainsi.


    Une fois cette découverte faite, l'approfondissement de ce centre intime conduit, dans l'intérioration et le silence, à une plénitude, une intensité, une richesse que traduit mal, en tous cas pour des oreilles occidentales, une expression comme "le Soi" utilisée par les Hindous.

    Si quelqu'un affirme avoir découvert son propre soi, vous y verrez une expérience limitée, de l'ordre de la psychologie, alors que le Soi auquel je fais allusion possède une ampleur, une profondeur, qui justifient pleinement l'emploi à son égard de termes n'ayant plus rien de psychologique, tels que "transcendant", "surnaturel"...


    Vous venez d'insister sur le fait que cette plénitude se trouve hors d'atteinte de toute circonstance extérieure. Si l'on vous torturait, comme cela est, hélas, arrivé à certains maîtres du soufisme afghan, vous n'en seriez pas moins en paix ?
     
    Oui et non. Il y aurait naturellement à un certain niveau une sensation douloureuse, voire insupportable; et cependant, j'ai la certitude que quelque chose demeurerait libre, inébranlable, et même heureux. Ceci dit, il est évidemment facile de tenir ce genre de propos tant que l'on ne se trouve pas dans une telle situation ! Je préfèrerais, pour vous répondre, m'appuyer sur mon existence quotidienne depuis dix ou douze ans.


    Je peux en tous cas affirmer que la découverte de ce centre intérieur libère de la peur sous toutes ses formes. Vous avez formulé votre question en parlant d'une éventualité future : or, s'il est bien évident que je ne souhaite pas être torturé, pas plus que je ne désire voir cette maison ravagée par un incendie, l'idée que de tels événements pourraient se produire n'exerce plus aujourd'hui aucun pouvoir sur moi.

    Avez-vous extérieurement changé depuis cette découverte? Un sage apparaît-il différent d'un autre homme ?
     
    Tout d'abord, est-il juste ou non de me qualifier de "sage" ? L'emploi d'expressions de ce genre fait parfois soulever des réactions inutiles chez les lecteurs... Qu'est-ce qu'un sage ? Certains auteurs parlent des "grands sages de l'Inde", comme s'il existait des petits sages, des sages moyens, et des grands sages... Il m'est cependant possible de comprendre un tel vocabulaire car j'ai éprouvé, en présence d'êtres considérés dans leur pays comme des sages, différents degrés d'admiration.


    Je retrouvai néanmoins chez tous une commune différence par rapport aux autres hommes. Ils ont, ou plutôt ils sont, quelque chose d'autre que l'on ne retrouve pas ailleurs, même chez des êtres en eux-mêmes remarquables par leur talent artistique, leur compétence professionnelle ou leurs qualités humaines. Quant à dire ce que les autres peuvent ressentir en approchant Arnaud Desjardins... C'est à eux de se prononcer !


    Pour vous, la découverte de cette plénitude s'est faite à travers des voyages en Asie, des séjours auprès de maîtres hindous, bouddhistes, soufis... Cette conscience immuable serait-elle liée à une culture ou un mode de vie ?
     
    Non, cette plénitude n'est aucunement liée à une culture ou à un mode de vie. Ceci dit, les conditions de vie ordinaire dans le monde occidental moderne sont beaucoup moins favorables que d'autres à cette découverte. En ce qui me concerne, ce qui s'est révélé a effectivement été pour une part le fruit de longues et laborieuses recherches menées en Asie auprès des maîtres issus de différentes traditions ; il n'y a d'ailleurs là rien de mystérieux et je peux, si on me le demande, donner des dates, des lieux, ainsi que des noms propres.

    Mais mon cheminement intérieur s'est également poursuivi à travers une existence typiquement occidentale : vicissitudes amoureuses, angoisses professionnelles dans la mesure où j'exerçais à la télévision un métier de salarié au cachet qui me valait d'être souvent chômeur... Bref, tous les éléments d'un destin parfaitement ordinaire. Et c'est précisément cette existence somme toute banale qui, peu à peu, a pris son sens, jusqu'à devenir elle-même la voie ou le chemin.


    Autrement dit, il nous est possible de faire de notre existence tout entière, y compris le métro, les bulletins de paye et les entretiens avec l'inspecteur des contributions, un ashram ou un monastère. Je m'en suis d'ailleurs longuement expliqué dans un chapitre de À la recherche de Soi intitulé "Le Gourou" (pp. 7-51).


    Avez-vous rencontré des Occidentaux parvenus à ce degré de plénitude intérieure ?
     
    Il m'est difficile de répondre à cette question dans la mesure où certaines personnes que je n'ai pas revues depuis des années se sont peut-être transformées... Je fais en tous cas partie de ceux qui éprouvent admiration et respect pour l'Allemand Karlfried Graf Dürckheim, dont plusieurs ouvrages ont été traduits en français et publiés pour la plupart au Courrier du Livre. Graf Dürckheim a exercé une profonde influence auprès de nombreux chrétiens, dont des religieux et des prêtres, et bien que ses découvertes essentielles aient eu lieu au Japon, il tient à se présenter lui-même comme un chrétien.


    À ce propos, avez-vous reçu une éducation religieuse ?
     
    J'ai reçu une éducation nettement religieuse dans la tradition du protestantisme français. Je connaissais très bien le Nouveau Testament et étais imprégné de l'enseignement des pasteurs, puisque dans le protestantisme, la première communion se faisait vers l'âge de quatorze ou quinze ans et était précédée de deux années d'instruction religieuse; j'ai assidûment fréquenté "Les Saintes Assemblées", c'est-à-dire le culte du dimanche matin au temple...


    J'ai ensuite vécu entre vingt et vingt-trois ans des années difficiles, et la découverte du monde adulte au moment de mon insertion dans la vie professionnelle a sérieusement mis en cause mon éducation familiale et religieuse. À cette époque, faute d'avoir découvert l'approfondissement mystique, je n'ai donc pas trouvé dans le christianisme, ou du moins dans le protestantisme, les réponses que je cherchais.


    C'est alors que je suis entré dans les "groupes Gurdjieff", juste avant la mort du célèbre Gurdjieff. Là, j'ai pour la première fois compris qu'il existait des méthodes ou des techniques susceptibles de m'aider à changer en profondeur, c'est-à-dire à transformer mon être, mon niveau de conscience ; cette découverte a véritablement été le point de départ de ma recherche.

    Dix ans plus tard, j'ai pu faire un premier séjour en Inde dans des ashrams connus, dont celui de la célèbre sage bengali Ma Ananda Moyi, et en 1965, j'ai rencontré un maître indien nommé Shri Swami Prajnanpad. Bien que jouissant d'une certaine réputation auprès de quelques cercles restreints en Inde, cet homme était fort peu connu du public ; sanscritiste, il avait autrefois enseigné la physique au niveau universitaire et était extrêmement cultivé: à mon grand étonnement, il m'a un jour cité par coeur un passage de la traduction anglaise des Misérables de Victor Hugo !


    J'ai donc, pendant neuf ans, fait de nombreux séjours auprès de lui. L'endroit où il résidait ne ressemblait en rien aux ashrams connus de l'Inde dans lesquels une foule de dévots et d'admirateurs se presse pour recevoir la bénédiction du maître; nous n'étions jamais plus de trois ou quatre à y séjourner. Swami Prajnanpad avait même lu dans sa jeunesse l'essentiel de l'oeuvre de Freud et pouvait donc utiliser un vocabulaire très accessible à un Occidental.

    Votre éducation religieuse vous a-t-elle aidé pour ce travail auprès de Swami Prajnanpad, ou l'avez-vous ressentie comme un handicap ?
     
    Cette éducation religieuse était, il faut bien le dire, en grande partie une éducation morale ; la notion du bien et du mal et la distinction entre les gens qui se conduisaient bien et ceux qui se conduisaient mal y jouaient un grand rôle. Elle a donc, sans aucun doute, eu des inconvénients, dont celui de me rendre assez limité, prisonnier de certains conditionnements ; mais elle a également eu le grand avantage de m'accoutumer à l'effort.


    Une telle éducation vous faisait comprendre qu'il était nécessaire de payer un peu de sa personne si l'on voulait atteindre les buts que l'on s'était fixés, et que tout n'était pas qu'amusement et facilité. Après avoir durant des années considéré cette éducation comme plutôt néfaste, j'aurais donc aujourd'hui un jugement beaucoup plus nuancé.


    Parmi les gens qui viennent à moi, en effet, beaucoup voudraient se transformer mais sont totalement dépourvus de la capacité de faire des efforts un peu soutenus ; ils ne saisissent pas la nécessité de qualités telles que le courage, la rigueur, l'exigence vis-à-vis de soi-même, qui ne conduisent pas uniquement à la frustration ou à l'auto-mutilation.

    Par la suite vous avez, si je ne me trompe pas, fréquenté assidûment un monastère trappiste...Avant d'imaginer qu'il me serait un jour possible non seulement de me rendre en Inde mais d'y séjourner si souvent, j'ai effectivement passé trois semaines d'affilée dans une abbaye cistercienne en France. Durant ce séjour, antérieur aux aménagements introduits suite au concile dans la règle cistercienne, je partageais en grande partie l'existence quotidienne des moines, et cette vie monastique a été pour moi une révélation, un souvenir inoubliable.

    Des circonstances heureuses, dont je me suis bien souvent loué, m'ont alors permis de devenir l'ami de l'abbé et du prieur ; certaines lectures ascétiques et mystiques m'ont été conseillées et ces livres m'ont révélé un certain aspect du christianisme en lui-même fort connu mais jusqu'alors ignoré de moi. Je suis par la suite retourné un certain nombre de fois dans ce monastère et je corresponds toujours régulièrement avec l'abbé et le prieur.  
     
     
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    Arnaud Desjardins : un maître http://www.radio-canada.ca/par4/vb/vb981217.html#s2(ancien lien non valide)
    Pour tout dire, au tout début de l'émission de Par Quatre Chemins, il y aura bientôt 28 ans, j'ai potassé comme je le fais maintenant, un certain nombre d'ouvrages et j'ai fait la découverte d'Arnaud Desjardins, qui est un maître spirituel, comme vous le savez. C'est un homme qui m'est particulièrement sympathique peut-être parce que, au départ, c'était un réalisateur de la télévision française. Il a rencontré une brochette de gourous à travers le monde, et il a fait des films qui ont été très remarqués à la télévision.


    Au départ, on devinait à travers ses films l'amorce d'une démarche personnelle, qui s'est précisée de plus en plus au cours de sa vie. Au point d'écrire des ouvrages remarquables; la liste en est d’ailleurs considérable. Les plus importants, selon moi, ce sont les trois tomes de Les Chemins de la Sagesse, et les trois tomes de À la recherche du soi. Dans ces deux séries, on trouve l'essentiel de son enseignement.


    J'ai une dette de reconnaissance envers lui parce que ses livres nous ont accompagnés, vous et moi, du moins certains d'entre vous, au cours de toutes ces années. Chaque fois qu'un ouvrage d'Arnaud Desjardins paraissait, j'en faisais état. C'est un homme très sérieux, un maître spirituel authentique, et je tire la plus grande joie de le fréquenter à l'occasion. Je suis heureux de savoir qu'il est là et qu'il poursuit sa démarche, son enseignement, que je trouve important, entre autres choses, parce qu'il n'écarte pas la psychologie.


    D’après : DUMOULIN, Lucie. " L’ami Arnaud ", Guide Ressources, janvier 1999.
     

    C'est d'ailleurs de cela dont il est question dans une entrevue qu'il a accordée à Lucie Dumoulin, dans le dernier numéro du Guide Ressources, celui de janvier 1999. D'abord, elle lui fait remarquer qu'il semble sévère à l'égard des personnes " qui n'investissent pas avec sérieux dans leur vie spirituelle ", ou qui le font en dilettante. " Je ne fais qu'énoncer des idées connues depuis longtemps, explique-t-il. Pour se transformer intérieurement, pour se connaître en profondeur et devenir libre des mécanismes qui nous régissent, il faut y consacrer du temps, de l'énergie. Il faut de la détermination et de la persévérance. […]

    On peut n'avoir d'abord qu'une curiosité sympathique pour la vie spirituelle, puis, quelques années plus tard, le déclic se produit, souvent à la suite d'une crise. Et l'engagement devient plus sérieux. " Ce que j'aime chez lui, c'est qu'on peut facilement se reconnaître dans ce qu'il raconte. C'est comme ça que ça s'est passé pour moi, en tous les cas. " N'entretenons pas, prévient-il, l'illusion qu'une très grande transformation […] puisse se faire facilement. Les mots "éveil" et "enlightment" sont à la mode, fait-il remarquer. Comme s'il y avait des méthodes si rapides, si efficaces qu'elles permettraient d'accomplir, en quelques week-ends intenses, le travail que les bouddhistes et les hindous très sérieusement motivés réalisent, traditionnellement, en 10 ou 15 ans. " Puis, il rappelle un peu plus loin qu'un Tibétain fait trois retraites de trois ans pour arriver à une connaissance de soi libératrice. Ouf, trois ans... S'il est encore capable de s'endurer après ça, bien sûr.
     

    Arnaud Desjardins insiste beaucoup sur le fait qu'il faut une motivation pour suivre ce cheminement sur la Voie. On peut n'avoir d'abord qu'une curiosité, mais il est nécessaire à un moment de s’engager plus sérieusement. Cette phrase résume bien le propos : " En fait, la libération, c'est le travail d'une existence. " Retenez qu'il parle de libération.
    Lucie Dumoulin lui demande d'apporter des précisions sur un mot qui revient souvent dans son discours : " Vous parlez souvent du besoin d'ascèse ", fait-elle remarquer. Ce à quoi il répond : " Si par le mot "ascèse", nous entendons privation, austérité, mortifications, ce n'est pas ça. " Puis, prenant l’exemple de l'ascèse du pianiste, qui doit faire régulièrement ses gammes pour son entraînement, il ajoute : " Ceux et celles qui sont engagés sur la voie spirituelle doivent faire leurs exercices. Éviter les excès, qui sont incompatibles avec la voie, bien sûr, autant qu'avec l'entraînement d'un sportif. "
    Plus loin, il rappelle que " l'objectif, nous le portons en nous. Quelque chose nous le fait pressentir, et ça peut être différent pour chacun - la rencontre d'un sage, peut-être, qui ne sera pas forcément notre guide. Nous croyons qu'une possibilité de transformation existe pour l'homme, une possibilité de dépasser nos limitations, un passage à un autre plan de conscience. Il faut alors se demander : ' Sur quelles voies parmi tant d'autres vais-je choisir mon chemin? " " " La Voie est donc moins un moyen d'acquérir des connaissances ésotériques qu'un moyen d'éliminer les obstacles ", lui fait alors remarquer Madame Dumoulin qui a quelque connaissance de la question pour poser une question qui entraîne aussi loin le propos. " Oh oui! rétorque-t-il spontanément. Quand les documentaires que j'ai réalisés dans les monastères et les ashrams étaient projetés à la télévision française, il y a 25 ou 30 ans, les gens me demandaient souvent : ' Arnaud, ces sages que vous avez approchés, qu'est-ce qu'ils ont de plus que nous? ' Et je répondais toujours : ' Ce n'est pas ce qu'ils ont de plus, mais ce qu'ils ont de moins que nous! Ce qui nous encombre encore et dont ils se sont libérés. " Voilà la clé, la démarche elle est soustractive. Au fond, pour arriver au centre et parvenir à quelque chose sur la voie, il faut éliminer les obstacles : en grande partie notre mental, notre folie, notre ego...


    " Il faut dissiper, faire disparaître ce qui recouvre une réalité déjà présente, une réalité que nous sommes déjà, explique-t-il. Le but de la voie, c'est de découvrir une réalité que nous n'avons ni créée ni produite, et qui existe préalablement à tous nos efforts. Et pourtant, ces efforts pour rejoindre cette réalité sont nécessaires; c’est ce qu'on appelle sadhanas en sanscrit, et qu’on peut traduire par ascèse. " Il poursuit plus loin : " Nous sommes déjà la réalité. […] une pratique quotidienne de conscience. C’est l’essentiel, ça! Vivre de façon de plus en plus consciente : c'est le cœur de la voie, qu'on retrouve, sous des formes différentes dans toutes les voies. Un surcroît de conscience, de présence à soi-même qui grandit avec la pratique. Qui grandit aussi à mesure que les facteurs de distraction s'amenuisent. […] Avec quelques expressions, nous arrivons à évoquer ce dont nous parlons : être attentif dans l'instant, présent à soi-même, l'hyper-conscience, conscience non séparée, vigilance, awareness - en anglais par opposition à consciousness - ce que Tich Nhat Hahn appelle pleine conscience, ou ce que Gurdjieff appelait le rappel à soi... Et c'est là toute la voie. On s'exerce, et ça devient de plus en plus naturel, une attitude. C'est une transformation qui s'opère peu à peu. "


    Plus loin, dans cette entrevue, il révèle : " Je n'ai rien inventé, je tiens beaucoup à le dire. Il ne s'agit pas des ' idées ' de mon maître, Swami Prajnanpad, ou de moi-même, comme on parlerait des idées de tel philosophe. Il s'agit de la découverte d'une réalité qui existe éternellement et qui ne dépend d'aucun maître. " Pour lui, le mysticisme c'est " tout simplement le désir de faire l'expérience personnelle de la réalisé ultime " de même que d’en " éprouver le besoin intense, impératif, de faire soi-même l'expérience. " Voilà l'idée.
    À propos des gens qui ont peur de vieillir, je dirais en citant Arnaud Desjardins : " Ce qui ne vieillit pas, c'est la conscience. En dehors de la voie, elle ne se serait jamais révélée telle que je la vis. Certains moments très intenses de ma vie - passion amoureuse, réussite professionnelle, voyages, rencontres avec des gens - , me semblent lointains, très lointains. Toutefois, les premières réunions des groupes Gurdjieff auxquelles j'ai participé à l'âge de 20 ans et les premiers exercices de rappel à la conscience que j'ai appris à faire me paraissent encore tout récents. On touche là quelque chose qui n'est pas dans le temps, qui ne vieillit pas. "
    D’après :
    DESJARDINS, Arnaud. Regard sage sur un monde fou, Éd. de La Table Ronde,1997.

    J'ai devant moi les deux derniers ouvrages d'Arnaud Desjardins. Le premier est un ouvrage dans lequel il s'interroge sur le monde d'aujourd'hui, qui l'inquiète beaucoup. Il dit d'ailleurs qu'il lui semble que le monde actuel est très malade - il n'est pas le seul à le penser... Il s'explique dans ce livre constitué d'entretiens avec Gilles Farcet, qui s'intitule Regard sage sur un monde fou.


    Ce qui le trouble beaucoup, entre autres choses, à propos de la télévision, c'est le fait que les émissions qui veulent être d'information, d'enseignement, d'affaires publiques, dirions-nous, ne répondent pas aux attentes qu'on devrait avoir, parce qu'un produit culturel devrait donner une haute opinion de ce qu'est l'homme. Un jour, Arnaud demandait à son gourou, Swami Prajnanpad, un personnage extraordinaire : " Y a-t-il un critère permettant d'évaluer la qualité d'un film, d'un livre, d'une émission de télévision, indépendamment du sujet traité? " Le Swami lui aurait répondu que " un produit culturel devrait donner une haute opinion de ce qu'est l'homme. "


    " J'ai été très frappé par cette idée, en elle-même simple, et j'ai beaucoup réfléchi : ' A high opinion of what man is. ' " (L'anglais vient de ce que Prajnanpad s'exprime en anglais, bien sûr). Là-dessus, il ajoute que " l'image de l'homme qui se grave chez un adolescent, uniquement nourri de programmes de télévision, de films et de magazines, [est] avant tout celle d'un être violent, contradictoire, faible, superficiel, égoïste, irresponsable, souvent corrompu, celle d'un monde où seuls les forts méritent de vivre, où les cœurs purs sont à côté de leurs pompes… "


    " Désespérer, c'est donc ne plus croire en l'homme? ", lui demande plus loin Farcet. " Oui, parce qu'on ne peut se construire soi-même sans une idée positive de l'homme. Il est devenu péjoratif de dire d'un livre ou d'un film qu'il est édifiant. On n'y voit plus que l'expression d'un moralisme désuet. Et pourtant, édifier, c'est construire. Ce qui ne nous construit pas nous détruit. Or, l'idée de l'homme véhiculée par une certaine information et la plupart des productions culturelles contemporaines - la plupart, pas toutes - est destructrice, si destructrice qu'elle conduit trop de jeunes - et de moins jeunes - à des extrêmes : la démission d'un côté, de l'autre, l'individualisme forcené. "


    Dans L'ami spirituel, un autre de ses ouvrages paru en 1996 aux éditions de La Table Ronde, Arnaud Desjardins a une autre façon de parler de l'enseignant, du maître à penser, du gourou, si vous voulez. C'est un livre qu'il a écrit en collaboration avec son épouse Véronique Loiseleur, elle-même auteure d'ouvrages très intéressants, en particulier sur la non-dualité.   


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